Les Mooc à l'assaut de la toile française

Par - Le 16 novembre 2013.

La mise en ligne, le 28 octobre, de la plateforme française France Université Numérique (Fun) fait
souffler une véritable “moocmania" sur l'hexagone et déjà près d'une trentaine d'établissements de
l'enseignement supérieur, de Polytechnique à l'École des mines en passant par le Cnam, et nombre
d'Universités lancent leurs propres Mooc sur la toile. Panorama.

Voici encore un an, quiconque
se serait aventuré à établir une
cartographie des Mooc français
n'aurait guère produit qu'un
schéma s'apparentant au plan d'une
ville-fantôme. Aujourd'hui, à en croire
le site Mindmeister.com qui recense les
massive open online courses [ 1 ]Le ministère de l'Enseignement supérieur leur
préfère l'acronyme “COTD" pour “cours ouverts à
tous et à distance".
français,
ce ne sont pas moins de vingt-six
cours en ligne que les établissements
de l'enseignement supérieur français
(grandes écoles ou Universités) ont mis
en ligne dès la rentrée de septembre ou
projettent de diffuser au cours de l'année
scolaire 2013-2014. Et les facs sont loin
d'être les seules à avoir flairé le filon
si l'on en croit le nombre de start-ups
fondées au cours de ces dernières
années consacrées exclusivement à la
conception et l'hébergement de Mooc,
qu'elles s'appellent Unow, Neomedia,
Goopil, Edunao, Simple IT ou encore
CoorpAcademy. Un engouement bien
réel au-delà du simple effet de mode,
même si l'on note que la France se
situe derrière d'autres pays européens
comme l'Espagne (quatre-vingt trois
Mooc recensés), la Grande-Bretagne
(cinquante-cinq) ou l'Allemagne (cinquante-
trois) et encore plus loin des
États-Unis (où les Mooc ont vu le jour
en 2008, sous les auspices du MIT et
de Stanford) puisque la seule Khan
Academy (plateforme gratuite créée
par le militant de la web-éducation
Salman Khan) revendique déjà plus de
9 millions d'e-apprenants connectés à
ses Mooc.

Les pionniers

Plus modestement, Itypa (pour
“Internet : tout y est pour apprendre"),
l'un des premiers Mooc expérimentaux
français ouvert de mars à juin 2012
aura été suivi par 1 300 apprenants.
“Un résultat très impressionnant lorsqu'on
pense qu'il s'agissait alors de l'initiative
personnelle de quatre pédagogues qui
s'étaient rencontrés par le biais de Twitter",
se souvient l'un de ses fondateurs,
Jean-Marie Gilliot, enseignant-chercheur
en informatique à Telecom
Bretagne. Bricolé à partir de vidéos
Youtube et de logiciels d'hébergement
Google, Itypa [ 2 ]Voir l'article “Les Mooc, armes d'instruction
massives", L'Inffo n° 830
. avait alors été financé
entièrement par ses concepteurs pour
un total de 1 000 euros. “Mais ce qui
nous a vraiment surpris, c'est qu'une fois
les cours terminés, certains de nos stagiaires
se sont emparés de la problématique et
ont développé leur propre site web pour
y publier la synthèse des enseignements
dispensés". Un site que cette petite
communauté – internationale – a
continué à alimenter et à faire vivre
indépendamment des fondateurs du
Mooc qui, le 10 octobre dernier, ont
d'ailleurs lancé “Itypa 2", intégré cette
fois, à l'arsenal pédagogique de Telecom
Bretagne, Centrale Nantes et d'un
certain nombre d'établissements-relais
à travers toute la France.

Les Mooc, certains y pensaient déjà
avant la mise en ligne officielle de
Fun. Centrale Lille avait expérimenté
le sien. HEC se tâtait. Polytechnique
franchissait le cap à la rentrée 2013. Mais
pour beaucoup, le lancement de cette
première plateforme française (même si
reposant sur le modèle EdX, aujourd'hui
propriété de Google, développé en
2008 par le Massachusetts institute
of technology) a permis d'impulser
le mouvement. “Nous n'étions pas
convaincus par la technologie Coursera, à
l'ergonomie trop américaine", témoigne
ainsi Jean-François Balaudé, président
de Paris Ouest Nanterre-La Défense qui,
le 7 octobre, lançait deux sessions de
cours online consacrées à la philosophie
et à l'histoire. Mais davantage qu'une
expérimentation, le développement de
Mooc consacrés aux sciences sociales
constitue une continuité dans l'histoire
de cette Université dont l'ingénierie
pédagogique repose depuis longtemps
sur le principe de l'enseignement à
distance. En 1987, déjà, Nanterre
diffusait des contenus pédagogiques sur
les ondes de Radio-France et éditait des
cours sous forme de cassettes audio.

Engouement en cours

Une tradition de l'éducation à distance
partagée par le Conservatoire national
des arts et métiers (Cnam) qui, en 1963,
diffusait le premier numéro de “Télé
Cnam", un programme de l'ORTF
destiné à permettre la formation
continue des publics ruraux éloignés
des amphis urbains. “Cinquante ans plus
tard, les Mooc constituent une évolution
naturelle pour nous, dont la mission
est d'assurer la formation tout au long
de la vie", explique Philippe Dedieu,
directeur délégué aux TICE au sein
du Conservatoire qui proposera, le
1er janvier 2014, quatre sessions de cours
(dont deux concernent le management
de la santé au travail et sont destinés,
principalement, à des
salariés) au travers de la
plateforme Fun. Si pour
l'heure, les inscriptions
y sont encore ouvertes,
l'enseignant se félicite
du succès des deux
teasers vidéo diffusés
sur Dailymotion et vus
environ 2 000 fois chacun.
“Cela fait un moment
que nous réfléchissions à
l'intégration des Mooc dans
notre arsenal pédagogique.
Nous avions même envisagé
de développer notre propre
plateforme avant de reculer
à cause du prix d'un tel
outil", se souvient-il.
Mais dès le mois de juin,
lorsqu'on eut lieu les
premières réunions avec
les équipes de Geneviève
Fioraso, l'engouement
a été immédiat au sein
du corps enseignant de
l'institution de la Rue
Saint-Ma r t i n . “Une
quinzaine de projets ont
émergé. Mais après, il a fallu sélectionner
parmi eux, afin de nous centrer pour notre
première expérimentation vers des contenus
confrontant les pratiques empiriques
développées par les salariés sur leur lieu
de travail avec les savoirs universitaires…
et surtout, il a fallu trouver les quatre
professeurs courageux qui acceptent
d'essuyer les plâtres en animant ces cours".

Formation au rabais ?

Quid toutefois de la qualité pédagogique ? Certains, à l'image du
sociologue (et militant CGT) Jérôme
Valluy estiment déjà que les Mooc
représentent une formation au rabais.
Et comme pour preuve, Jean-François
Balaudé confirme que les cours que
diffusera son Université à travers Fun
seront fractionnés en une dizaine de
séances de quinze minutes chacune, ce
qui, à première vue, peut paraître un
peu léger pour évoquer la philosophie
contemporaine ou les événements
de la Seconde Guerre mondiale,
comme l'ambitionne Nanterre. “Il
est vrai que ce n'est pas le format idéal,
reconnaît le président de Paris Ouest
Nanterre-La Défense, d'où la nécessité
de garantir une certaine densité à chacune
de ses séances virtuelles en plus de toute
la documentation que Fun permet
d'héberger."

“Démarche connectiviste"

Pour d'autres, la création de valeur
ajoutée passera par la mise en place
de tutoriaux, d'exercice ou de quizz,
voire même d'un accompagnement à
distance pour assister les e-étudiants
dans leur démarche d'apprentissage.
Ce sera le cas pour Courlis, la
plateforme dévolue à l'enseignement
des statistiques développée par les
Université de Lorraine et Nice-Sophia-
Antipolis, ouverte le 30 septembre
dernier avec 250 inscrits. “Notre
établissement est déjà éclaté sur quatre
sites. Trois à Nancy et un à Metz. Dans ces
conditions, nous utilisions la vidéo-transmission
bien avant l'existence des Mooc,
la seule chose qui nous manquait était la
possibilité de mettre en ligne le contenu
des TD", explique François Kohler,
professeur à la Faculté de médecine
de Nancy et responsable du cours en
ligne, “aussi, nous avons opté pour une
démarche connectiviste permettant l'interactivité
entre enseignants et apprenants,
les devoirs personnels et les évaluations
formatives. À la différence des Mooc
américains, Courlis a l'originalité de ne
pas laisser les étudiants en autoformation
intégrale en leur proposant l'option du
tutorat personnalisé. Cette option leur
permet de disposer d'un accompagnement
assuré par un organisme regroupant des
professionnels de l'enseignement à distance
et de la statistique appliquée".

Business model à imaginer

Si le plan Fioraso envisage “le
numérique comme outil de rénovation
des pratiques pédagogiques", l e
développement des Mooc pose la
question de la reconnaissance des
savoirs et compétences acquis par ce
biais et amène celle du business model à
imaginer pour rendre ceux-ci pérennes
au-delà de l'engouement initial. “Pour
l'instant, on explore, on expérimente…",
confesse Nathalie Lugagne, doyen
exécutif de la faculté et de la recherche
à HEC, dont les deux cours en ligne
(dédiés à la finance d'entreprises et aux
institutions européennes) rejoindront
Fun en janvier 2014, même s'ils sont
pour l'instant hébergés sur Coursera,
dont l'école est partenaire. “Aujourd'hui,
il n'est pas question de rendre nos Mooc
qualifiants. Nous verrons à l'avenir en
fonction de ce que nous
dira le marché. Mais les
personnes qui s'inscrivent
à des Mooc sont davantage
intéressées par le processus
d'apprentissage que par
le diplôme final". Un
avis que l'on ne partage
pas forcément, côté
Université. En Lorraine,
on a déjà maquetté un
premier business-plan
pour Courlis et imaginé
une certification de
suivi de cours, dont
l'inscription s'élève à
300 euros. “Un tarif que
nous espérons attractif ",
annonce François
Kohler. Inconvénient,
cependant : le passage de
cette certification exigera
des étudiants intéressés
un déplacement physique sur Nancy ou
Nice pour y subir une
épreuve selon les règles
universitaires. Au Cnam
aussi, même si l'on refuse
de tirer des bénéfices
financiers des Mooc, on réfléchit
cependant à la façon d'en tirer au moins
de quoi réinvestir dans la conception
d'autres cours en ligne. “Des pistes ont
été avancées, détaille Philippe Dedieu,
parmi lesquelles la possibilité d'établir
des partenariats avec le secteur privé pour
développer des contenus pédagogiques
qui seraient à la fois accessibles à leurs
salariés et au grand public. Le Cnam
pourrait aussi tirer d'autres ressources de
la commercialisation de produits dérivées,
comme des e-books, ou de l'achat de
sessions de tutorat individualisé pour les
apprenants."

Le “contrôle par webcam"

Obtenir des diplômes ou des titres
“classiques" par le biais des Mooc ?
Jean-Marie Gilliot n'y croit pas. “En
revanche, ce qui est possible, c'est de
permettre l'acquisition de « badges »
calqués sur le modèle des open-badges
Mozilla. Itypa 2 en propose d'ailleurs
cinq, gratuits ou payants, le prix
oscillant entre 25 et 40 euros, qui
certifient le suivi de chaque cours. On
peut aussi envisager la création de
sessions d'examens en ligne, contrôlables
via l'adresse IP de l'ordinateur de
connexion… même si l'idée de fliquer les
apprenants est aux antipodes de l'esprit
des Mooc, je l'admets." Le sujet fait
encore débat dans la communauté de
l'e-enseignement.
Pas sûr, en revanche, que cette
philosophie soit partagée par
les entreprises privées qui, elles,
comptent bien transformer ces outils
pédagogiques en produits lucratifs
et rentables. Et déjà, on évoque le
“contrôle par webcam", voire “la prise
de contrôle à distance de l'ordinateur de
l'étudiant". [ 3 ]La Tribune, n° 64. Des services que proposent
déjà certaines sociétés américaines.
Une fois passée la “moocmania" des
débuts, le retour à la réalité pourrait se
révéler douloureux pour les idéalistes
de l'enseignement en ligne libre et peu
coûteux.

Notes   [ + ]

1. Le ministère de l'Enseignement supérieur leur
préfère l'acronyme “COTD" pour “cours ouverts à
tous et à distance".
2. Voir l'article “Les Mooc, armes d'instruction
massives", L'Inffo n° 830
3. La Tribune, n° 64.