Les “Mooc" : armes d'instruction massives

Par - Le 16 mars 2013.

Massive open online courses. Autrement dit, “enseignement en ligne ouvert et massif". Ces plateformes interactives de diffusion pédagogique, imaginées et construites par des universitaires américains, héritiers directs des inventeurs d'internet puis des réseaux sociaux, investissent actuellement le champ de la formation initiale. En attendant de déferler sur celui de la formation continue ?

L'idée d'une salle de classe de plusieurs milliers d'élèves occupés à suivre les enseignements dispensés au travers d'un écran géant n'est pas neuve, bien que souvent présentée de façon négative. Qu'on songe aux omniprésents “télécrans" du 1984 orwellien ou aux taules concentrationnaires dans lesquelles s'agglutinent les étudiants sans visage du clip Another brick in the wall, de Pink Floyd. Si, sur le fond, ces deux exemples fictionnels d'un “enseignement en ligne ouvert et massif " correspondent à la définition littérale d'un Mooc (plus de deux millions d'étudiantsinternautes ont ainsi pu suivre des cours dispensés au travers de la plateforme Coursera de l'Université de Stanford, alors qu'EdX, son équivalent développé au sein du Massachusetts Institute of technology, recensait, fin 2012, 400 000 inscrits), ce sont surtout les possibilités d'interaction élèves-enseignants ou d'appropriation des contenus par les apprenants qui différencient cet outil d'un télé-enseignement de masse classique, passif et perçu comme subi par les apprenants.

Produits de la concurrence universitaire

C'est de la rivalité des grandes Universités américaines que sont nés, dès 2001, les OpenCourseWares (OCW), “ancêtres" des Mooc [ 1 ]Le terme défi nitif a été inventé en 2008 par Georges Siemens (Université d'Athabasca) et Stephen Downes (National research council).. À l'origine, les enjeux étaient essentiellement économiques, puisqu'il s'agissait d'attirer à elles les meilleurs cerveaux, mais aussi les investisseurs, tout en “brisant les murs" des campus pour permettre à un maximum d'étudiants d'accéder aux ressources
proposées en ligne.

Et dans cette compétition, c'est le MIT qui, avec sa plateforme MITOCW qui ouvrit les hostilités, en proposant des cours accessibles gratuitement (par le biais de licences libres creative commons), portant tant sur les biotechnologies que la linguistique ou l'architecture. Tout d'abord expérimentale, cette plateforme permettait peu d'interactivité, puisque les étudiants-internautes se contentaient alors de puiser les ressources mises en ligne sans réellement pouvoir interagir avec les enseignants ou les autres étudiants inscrits, du fait des limites 1.0 du web de l'époque.

“Sur la lancée du MIT, d'autres Universités anglo-saxonnes ont commencé à développer leurs propres outils d'enseignement massif à distance, souvent en développant des partenariats entre elles", se souvient Christine Vaufrey, rédactrice en chef de Thot Cursus (magazine en ligné dédié à la formation et à la culture numérique).

Si certaines tentatives se sont terminées par des échecs, l'Alliance for lifelong learning (AllLearn) à l'origine de l'outil Coursera, porté, notamment, par Standford, Yale et Oxford [ 2 ]Projet auquel se sont associées ensuite Dukeet Princeton., a constitué, en 2002, la première réponse payante au MIT-OCW, où l'inscription aux cours virtuels était facturée près de 250 dollars à chaque étudiant. “Dès le départ, les questions de rentabilité se sont posées – et se posent
d'ailleurs encore – aux concepteurs de ces outils pédagogiques", explique Morgan Magnin, chargé de mission TICE et enseignant en informatique à Centrale Nantes. “Un cours en ligne, à l'époque, coûtait environ 100 000 dollars à l'institut qui choisissait de le dispenser en ligne à plusieurs dizaines de milliers d'étudiants. Si ces Universités ont choisi de travailler en partenariat pour développer ces plateformes, c'est aussi pour des raisons de mutualisation des frais."

Un appât pour étudiants endettés

Car au-delà de la prouesse technologique et du développement des nouvelles pédagogies en ligne, la “course aux Mooc" entamée par les grands centres universitaires nordaméricains répond aussi à un besoin
économique, comme l'explique Jean Vanderspelden, consultant et
animateur du site iapprendre.fr : “Le taux d'endettement des étudiants américains est à ce point élevé qu'il est impossible pour une grande partie des jeunes Américains d'accéder aux Universités, prestigieuses ou non. Ce qui constitue autant de manque à gagner pour ces dernières. Sans compter la concurrence qu'elles se font entre elles pour attirer les meilleurs élèves.

Les Mooc permettent aux instituts universitaires de capter un nombre incroyable d'étudiants en les accrochant grâce à des frais d'inscription en ligne tout à fait raisonnables".

De fait, Coursera et Udacity (les Mooc développés à Stanford en 2011 et 2012) sont aujourd'hui des startups privées fondées par des anciens de l'école, alors qu'EdX (upgrade de MIT-OCW) utilisée par le MIT et Harvard demeure gratuite. “La gratuité d'EdX fait partie de la contribution du Massachusetts Institute of technology aux progrès de l'éducation", souligne Christine Vaufrey. Il est vrai, comme le souligne un article de The Chronicle of higher education, cité par Thot Cursus, que les enseignants de cette Université d'élite demeurent
encore culturellement très marqués par l'esprit de méritocratie. “Comparé à d'autres Universités, le MIT dispose d'un processus d'admission des étudiants relativement peu corrompu par des considérations telles que le nom de votre grand-père, le montant du chèque fait par vos parents ou votre habileté à faire passer un ballon d'un côté à l'autre du terrain…

First french Mooc

À partir de 2008, les Mooc ont d'abord essaimé en interne du monde anglo-saxon : États-Unis, Canada (HEC Montréal ouvrait son premier Mooc à l'automne 2012), Grande-Bretagne (avec la fondation
de Future Learn, une plateforme réunissant 16 Universités britanniques), puis se sont ouvertes au reste de l'Europe avec de premières plateformes ouvertes aux Pays-Bas ou en Espagne.

En France, c'est en mars 2012 qu'un quatuor [ 3 ]Composé de Jean-Marie Gilliot, Christine Vaufrey, Morgan Magnin et Anne-Céline Grolleau, responsable du dispositif mutualisé de formation, d'accompagnement et de valorisation PédaTice., piloté par Jean- Marie Gilliot, enseignant-chercheur en informatique à Télécom-Bretagne, a procédé aux premiers tests d'Itypa (Internet : tout y est pour apprendre [ 4 ]Le blog d'Itypa : www.itypa.mooc.fr), le premier Mooc connectiviste (voir encadré) tricolore.

“Nous nous étions trouvés via Twitter !", se rappelle Christine Vaufrey, qui fut alors de l'aventure. “C'est avec les moyens du bord, à savoir des logiciels d'hébergement Google et des vidéos partagées sur Youtube que nous avons créé un premier cours, intitulé « Introduction à l'utilisation d'internet pour se former », pour un coût de départ de 1 000 euros environ."

Durant les six mois qu'a duré l'expérimentation (d'avril à septembre 2012), onze séquences pédagogiques (animées chacune par un intervenant bénévole) ont permis aux 1 400 inscrits volontaires (composés à 60 % d'enseignants et d'ingénieurs pédagogiques) de participer à la création de cet outil collaboratif [ 5 ]Les vidéos sont encore consultables sur la chaîne Youtube Mooc_Fr :
https://www.youtube.com/user/moocfr.
Jean Vanderspelden, membre du Fffod [Forum français pour la formation ouverte et à distance[/footnote], en était : “J'ai beaucoup apprécié de participer à cette initiative, annonce-t-il, les Mooc représentent une nouvelle diversifi cation des situations d'apprentissage. Dans le monde
de l'e-pédagogie, les bulles éclatent étape par étape… la dernière était
celle des serious games, la prochaine sera celle des Mooc."

Un modèle économique encore à trouver

Si, pour l'instant, ces plateformes interactives de diffusion pédagogique demeurent dans le champ universitaire de la pédagogie initiale, leur déclinaison vers la formation continue a nourri une partie des débats (la huitième séance de cours Itypa était ainsi consacrée à la formation tout au long de la vie). “Les Mooc sont innovants dans
le sens où ce type d'enseignement ne mobilisera pas – ou très peu – les fonds de la formation professionnelle, estime Jean Vanderspelden.

En ce sens, ils constituent des dispositifs hybrides qui dépassent le cadre du e-learning et peuvent être porteurs d'avenir dès lors qu'un modèle pédagogique et économique cohérent sera inventé."

Et de ce côté de l'Atlantique comme de l'autre, se pose la question de la rentabilité. “Pour imaginer les moyens de rendre les Mooc rentables, il faut observer ce que font les Américains, explique Morgan Magnin, une plateforme telle que Coursera permet d'acquérir des certifi cations post-Mooc. Plusieurs Universités aux États-Unis ont déjà choisi de ne plus faire payer l'inscription, mais de permettre aux étudiants-clients de disposer de crédits – à raison de 50 à 200 dollars par certifi cation – afin de valider les enseignements reçus.

D'un autre côté, certaines Universités ont également fait le choix de faire financer leurs plateformes par des capital-riskers". D'autres expérimentations financières ont été imaginées : “Il pourrait être envisageable de faire payer les étudiants lors de leur présentation à l'examen, ce qui permettrait par ailleurs de s'assurer de l'identité du candidat", suggère Christine Vaufrey qui reconnaît cependant qu'actuellement, les entreprises françaises ne se sont pas encore penchées sur ces dispositifs pédagogiques. “Mais il y a un autre marché susceptible d'être intéressé : celui des pays émergents. _ L'Afrique de l'Ouest montre d'ores et déjà son intérêt pour ces outils".

Développements en cours...

Malgré leur retard initial et une certaine indifférence des pouvoirs publics, les développeurs français commencent à rattraper leurs homologues anglo-saxons. Dès la rentrée 2013, Polytechnique a ouvert son premier Mooc qui compte déjà 5 000 inscrits. D'autres projets sont en voie de finalisation au plan européen comme Edunao, une plateforme calquée sur ses aînées américaines qui devrait voir le jour au printemps prochain ou Claroline connect, un outil co-développé par des instituts lyonnais et wallons.

Quant aux pionniers des Mooc français, ils ne se reposent pas sur leurs lauriers, vu que le 11 mars dernier, Jean-Marie Gilliot offi ciait comme intervenant de lancement pour ReSop, un Mooc voué à l'utilisation des réseaux sociaux comme outils pédagogiques.

“XMOOC" OU “CMOOC" ?
À l'heure actuelle, deux catégories de Mooc ont été définies. Les “xMooc", issus de l'enseignement traditionnel, sont ce qui se rapproche le plus d'un cours magistral classique sur le modèle “coursexercices- contrôle final". L'échange entre apprenants y est généralement faible, et l'enseignant demeure l'individu ressource qui dispense les savoirs et procède, en fin de cycle, à l'évaluation.

A l'inverse, les “cMooc" (ou “Mooc connectivistes"), dont la pédagogie est avant tout basée sur l'usage de la vidéo et l'interaction entre participants, se veut davantage interdisciplinaire. Ici, l'enseignant joue davantage le rôle d'un arbitre et ce sont les apprenants qui définissent leurs propres objectifs d'apprentissage.

L'échange y est fondamental et il est rare qu'une notation de type “scolaire" achève la session d'enseignement. Ce sont au contraire les étudiants qui sont incités à s'auto-évaluer.

Notes   [ + ]

1. Le terme défi nitif a été inventé en 2008 par Georges Siemens (Université d'Athabasca) et Stephen Downes (National research council).
2. Projet auquel se sont associées ensuite Dukeet Princeton.
3. Composé de Jean-Marie Gilliot, Christine Vaufrey, Morgan Magnin et Anne-Céline Grolleau, responsable du dispositif mutualisé de formation, d'accompagnement et de valorisation PédaTice.
4. Le blog d'Itypa : www.itypa.mooc.fr
5. Les vidéos sont encore consultables sur la chaîne Youtube Mooc_Fr :
https://www.youtube.com/user/moocfr.