Gaston Paravy, des Mife et des cimes

Par - Le 01 février 2014.

D'abord, l'allure. Imaginez un croisement
de Marlon Brando et Niels Arestrup, sourire
et bienveillance en plus. Du haut de ses
77 ans, campé sur les marches de la Maison
de l'information sur la formation et l'emploi
(Mife) de Chambéry, Gaston Paravy a l'accueil
chaleureux. Nous sommes sur ses terres et
ne nous déplacerons guère pour évoquer ses
souvenirs. Le co-fondateur de l'Université
d'hiver de la formation professionnelle, natif
d'Aix-les-Bains, est du genre endémique :
50 ans de vie professionnelle, 50 ans de
Savoie. Deux exceptions : la guerre d'Algérie,
et une infidélité passagère au service de
l'Anfopar [ 1 ]Association nationale pour la formation
professionnelle des adultes ruraux.
, à Vienne, lointaine cité iséroise,
aussi riche en collines que pauvre en
montagnes…

Genèse

Compatriote natif des Bauges, le sénateur
Jean-Claude Carle reconnaît dans son ami
centriste “un savoyard de cœur et de tripes",
avec qui il “partage la conviction que l'éducation
et la formation demeurent le meilleur
des investissements". Ancien vice-président
régional en charge de la formation, il se
rappelle sans mal du “modèle de souplesse et
de réactivité" développé par Gaston Paravy.
Premier directeur de la Mife de Savoie au
début des années 1980, il y a apporté ce
qu'il nomme la “pédagogie de la mise en
mouvement des personnes". Au
commencement, une interrogation : “Pourquoi
les potentialités sous-jacentes des personnes
bloquées dans leur parcours ne se révèlentelles
pas ?" La réponse donnera la guidance
professionnelle personnalisée, méthodologie
d'intervention fondatrice des Mife.
Lui qui reconnaît avoir puisé son “désir de
rencontre et de promotion de l'autre" au sein
de la Jeunesse étudiante chrétienne, n'en
demeure pas moins très prudent pour évoquer
les origines de son engagement. Il rappelle
lui-même qu'il a débuté comme prêtre,
raconte ses premiers pas de théoricien de
l'éducation populaire aux côtés du sociologue
de la religion Henri Desroche, évoque sa
thèse sur la pédagogie de la Jeunesse
agricole chrétienne,
mais s'interroge sur une
“manière séculière de
traduire" l'héritage :
“C'est un foyer
d'inspiration, mais qui
s'est confronté à tous les
courants de l'éducation
avec lesquels je me suis
mis en négociation.
Il n'est pas question de
cacher mon identité,
mais je ne suis pas
un évangélisateur !"
Entré dans la vie
professionnelle comme
instituteur, Gaston
Paravy n'a pas attendu de se lancer dans
l'aventure des Mife pour développer une
réflexion permanente sur ce qu'il nomme
les “dynamiques de la personne". Il n'y
a pas jusqu'à la guerre d'Algérie, qu'il
traverse comme officier dans une section
administrative spécialisée, qui ne témoigne
de son souci permanent de la promotion des
populations.

“L'universel, c'est le local moins
les murs"
[ 2 ]Miguel Torga.

Toujours aux commandes de l'InterMife,
Gaston Paravy évoque “l'éducabilité
permanente de la personne" pour estimer que
l'“on a des raisons de garder des engagements
tant que l'on peut produire de la pensée".
Commentaire de Bernadette Laclais, députéemaire
de Chambéry : “Je suis admirative
parce qu'il n'a rien perdu de sa détermination,
il n'a jamais relâché son effort pour faire
partager sa vision de ce qu'est la formation
des adultes", insiste-t-elle. Louant le charisme
d'“un homme de partenariat, personnalité qui
dépasse largement les frontières savoyardes",
elle ne fait que souligner l'ancrage territorial
de l'intéressé. Lequel confirme : “Il y avait
une espèce d'enracinement viscéral qui me
permettait d'être créatif, j'ai ressenti que
je ne pouvais me déployer que là où j'avais
des assises." Rappelant qu'il a aussi été maire
adjoint pendant vingt-trois ans, l'ancien viceprésident
du Conseil économique et social
de Rhône-Alpes ne fait pas mystère que
le développement des Mife a tout à voir avec
ses attaches locales.

Reste la transcendance des cimes.
Se souvenant de ses années viennoises,
il raconte : “Ne pas voir une montagne
le matin, je me sentais orphelin de quelque
chose…." N'est-ce pas Rousseau lui-même,
dont le réduit savoyard demeure à deux
pas de la Mife de Chambéry, qui rapporte
de ses promenades alpines, qu'“à mesure
qu'on approche des régions éthérées, l'âme
contracte quelque chose de leur inaltérable
pureté" [ 3 ]Julie ou la nouvelle Héloïse, 1761. ? Et que dire de Mauriac, pour qui
“l'amour des cimes est en partie d'ordre
spirituel" [ 4 ]Les Nouvelles littéraires, 14 décembre 1950. ? Mais, doit-on vraiment clore
ainsi le portrait de celui qui redoute qu'on ne
l'accuse de “confessionnaliser" les Mife ?
Le soupçon fera pschitt devant une vérité et
une confidence : un, les Mife ont été créées
par le ministre communiste Marcel Rigout ;
deux, le “schnaps" partagé en fin d'entretien
n'avait rien du vin de messe…

Notes   [ + ]

1. Association nationale pour la formation
professionnelle des adultes ruraux.
2. Miguel Torga
3. Julie ou la nouvelle Héloïse, 1761.
4. Les Nouvelles littéraires, 14 décembre 1950.