revue_personnel-hors_serie.jpg

Formation, vers davantage de marges d'initiatives pour les DRH ?

Par - Le 18 mai 2017.

Avec le n° 578 de son magazine Personnel (consacré au thème “Disruption(s) : quel impact sur les organisations ?"), l'ANRDH (Association nationale des directeurs des ressources humaines) vient de livrer un hors-série Spécial formation.

Il comprend une contribution de Centre Inffo, que voici.

Par Fouzi Fethi – juriste-consultant à Centre Inffo

et Philippe Lacroix – secrétaire général de Centre Inffo

Les DRH ont davantage de moyens légaux à leur disposition, depuis les lois du 5 mars 2014 et du 8 août 2016, pour arrêter les conditions de mise en œuvre de leur politique de formation. D'une part, le passage d'une obligation fiscale à une responsabilité sociale de formation et, d'autre part, l'ouverture à une nouvelle conception élargie de la formation, leur permettent de concevoir de nouvelles approches de la formation, en lien avec les Opca mais aussi les IRP.

De nouvelles modalités de formation

Le champ des modalités de formation s'est profondément renouvelé, notamment, avec le développement du digital et de la dématérialisation des échanges. Le stage en présentiel n'est plus l'alpha et l'oméga de l'action de formation et cela se traduit en droit. La formation ouverte et à distance (FOAD) est elle-même en pleine interrogation. Les limites du « distanciel pur » sont mieux appréhendées. Cette modalité ne convient pas à tous les apprenants. Un mixte entre des temps en présentiel et des temps en distanciel semble se dégager dans de nombreuses pratiques. Mais, ce qui apparaît le plus intéressant et le plus novateur, c'est l'idée selon laquelle la notion de parcours individuel et évolutif de formation et d'apprentissage serait à retenir dans la réflexion sur la pédagogie et les systèmes de formation.
Cela repose sur la réalité que sous le stagiaire coule l'apprenant. Celui-ci semble réapparaître, tant dans les conceptions de la formation que dans les cadres institutionnels et juridiques. La personne est de plus en plus prise en compte dans sa singularité et la pluralité des modes d'apprentissages. Elle est mieux appréhendée et acceptée par les acteurs qui décident et pilotent la formation.

Introduire la notion de parcours et de forfait

Notamment pour les formations d'une durée assez longue, c‘est-à-dire, supérieures à une quarantaine d'heures, la notion de parcours prend tout son sens. Il s'agit de prendre en compte la singularité de la personne par un positionnement initial, le choix des modules de formation pertinents au regard des objectifs et du positionnement, des jalons permettant de faire évoluer le parcours si nécessaire, des moyens d'accompagnement et d'assistance, des modalités d'évaluation et de sommation. Cela induit deux évolutions juridiques dans la conception des formations :

 L'approche du forfait du temps de formation fait son chemin. Les unités « heure », « lieu » et « type d'action » deviennent des critères inopérants pour prendre en charge des parcours individuels et évolutifs de formation.

 la logique des parcours de formation pris en charge sur la base de forfaits devrait ancrer une approche axée sur les résultats de la formation et favoriser l'émergence d'un mode de preuve plus qualitatif de la réalisation de la prestation.

C'est dans cet esprit que le décret n°2017-382 du 22 mars 2017 (JO du 24 mars 2017) revisite les justificatifs que les employeurs et les organismes de formation doivent produire lorsque les actions de formation mises en œuvre sont financées par les Opca-opacif (C. trav., art. R. 6332-25 et R. 6332-26). Le « niveau d'assiduité » renvoie à l'idée d'une « régularité » dans l'exécution de la prestation, régularité appréciée en fonction de l'atteinte des objectifs, sans nécessairement que la prestation ait été réalisée dans son intégralité. Ce qui permet d'englober à la fois :

 les « états de présence émargés par le stagiaire» qui restent indispensables ne serait-ce que pour mesurer les durées maximales ou minimales des dispositifs d'accès à la formation des salariés ;

 les « documents et données établissant la participation effective à la formation » qui eux permettent de prendre en compte la dématérialisation de la preuve ;

 mais surtout les justificatifs plus qualitatifs pour apprécier l'exécution de l'acte formatif dans son ensemble en y intégrant de manière globale toutes les séquences nécessaires à la bonne réalisation de la formation (positionnement, accompagnement, appropriation, réalisation de travaux, évaluation, autoévaluation, transfert, échanges entre pairs, etc.) indépendamment du nombre d'heures réalisé.

Il en résulte qu'à côté des « états de présence émargés » par le stagiaire ou les « informations et données relatives à sa participation effective », pour établir le « niveau d'assiduité » d'un stagiaire, sont désormais pris en compte :

 « les documents ou données relatifs à l'accompagnement et à l'assistance du bénéficiaire par le dispensateur de la formation » ;

 « les comptes rendus de positionnement » ;

 « les évaluations organisées par le dispensateur de la formation qui jalonnent ou terminent la formation » ;

 « les justificatifs permettant d'attester de la réalisation des travaux pour les séquences de formation ouvertes ou à distance» (C. trav. art., D. 6353-4).

Ce décret met ainsi en cohérence les modalités de preuves de prise en charge des Opca-Opacif avec les notions de « parcours » et de « forfait » introduites par la loi Travail. Il n'a pas pour objectif de remplacer l'heure-stagiaire par une nouvelle norme de prise en charge immuable mais autorise, en matière de preuves, des justificatifs complémentaires ou alternatifs à l'attestation de présence.
Le parcours et le forfait n'affranchissent pas du droit du travail

Cependant, il ne faut pas oublier que le temps de formation du salarié nécessitera toujours d'être tracé, contrôlé et valorisé…en heures ! Et ce en référence à sa durée légale ou conventionnelle du travail. En effet, toute action de formation suivie par un salarié pour assurer son adaptation au poste de travail ou liée à l'évolution ou au maintien dans l'emploi dans l'entreprise constitue un temps de travail effectif et donne lieu pendant sa réalisation au maintien par l'entreprise de la rémunération (C. trav., art. L. 6321-2).
Mais ce temps de formation du salarié peut-il être complètement détaché de la prise en charge par l'Opca d'un coût pédagogique facturé par le dispensateur de formation non pas sur une base horaire mais forfaitairement ? Théoriquement, le législateur en consacrant la notion de parcours, incite les Opca à aller dans ce sens. Que ce soit la section « plan de formation » ou, plus récemment, la section « professionnalisation », elles pourraient financer des organismes de formation à l'atteinte d'un objectif indépendamment du nombre d'heures réalisées.

Mais cela ne risque-t-il pas de créer deux temps de formation difficilement conciliables ? D'un côté, le temps de l'organisme de formation qui n'est plus payé par l'Opca au nombre d'heures réalisés mais à l'atteinte d'un objectif. De l'autre, le temps du salarié qui, dans le cadre du plan ou de la professionnalisation, doit être rémunéré par l'employeur en heures. Le premier temps pris en charge au forfait incitera naturellement à intégrer des temps où le salarié produit un travail personnel notamment chez lui, devant écran, à son rythme et sans référence à des durées prescrites. Ces temps dont l'efficacité en termes d'apprentissage n'est pas à discuter, pourrait se heurter au second temps, celui du salarié sur lequel l'employeur exerce une autorité. Autrement dit, une approche forfaitaire du temps de formation devra nécessairement prendre en compte le temps de travail du salarié en y intégrant toutes les questions relatives à sa durée du travail, à sa rémunération mais aussi à sa protection sociale. Le projet de formation étant une déclinaison du pouvoir de direction de l'employeur, la question de l'exercice du pouvoir disciplinaire mérite également d'être posée.

L'accompagnement de Centre Inffo aux DRH, aux Opca et aux branches professionnelles

Les DRH disposent de nouvelles opportunités introduites par les notions de « parcours » et de « forfait ». Ces notions qui font irruption dans l'univers du droit de la formation restent à sécuriser et à concilier avec les questions liées au droit du travail. Une part non négligeable de ces questions revient désormais aux partenaires sociaux des branches professionnelles et des Opca-Opacif. Ils auront à définir, en effet, au cas par cas, en fonction des parcours qu'ils souhaitent financer, les modalités de contractualisation du forfait parcours.

Les nouvelles perspectives qui s'ouvrent peuvent être résolument tournées vers l'innovation. Mais une mise en œuvre efficace et fiabilisée repose avant tout sur une volonté, un diagnostic et des moyens de mise en œuvre. C'est la raison pour laquelle Centre Inffo se mobilise pour accompagner les DRH qui le souhaitent, ainsi que les partenaires sociaux à relever ce défi. L'enjeu est de rendre effectif, dans la plus grande sécurité, les nouvelles modalités ouvertes par le droit.