Stéphane Montagnier, psychologue du travail, praticien en accompagnement des questions d’orientation tout au long de la vie.

Les 27èmes Rencontres nationales des Mife saluent l'essor de “l'accompagnement individualisé"

Par - Le 15 juin 2015.

Retenu en Savoie alors que s'ouvraient les 27èmes Rencontres nationales des Mife (Maisons de l'information sur la formation et l'emploi), Orientation et formation tout au long de la vie, une réforme en marche..., à Autun les 11 et 12 juin 2015, ce n'est pas le fondateur Gaston Paravy lui-même qui a prononcé le discours d'ouverture mais Hervé Guillon, vice-président d'InterMife France. Humanisme et refus d'abdiquer étaient, eux, bien au rendez-vous. Extraits.

Spécialiste de l'orientation, Gaston Paravy n'est pas l'homme d'un pré carré. En témoigne cette conviction, rappelée lors de son discours d'ouverture : “l'orientation tout au long de la vie relève tout autant des professionnels que des parents, de l'école, de l'entreprise, des organisations et des structures d'accompagnement vers la formation et l'emploi". S'il en est ainsi, le président d'InterMife peut sourire. Car cette vision œcuménique de ce que devrait être l'orientation n'a pas toujours été partagée.

Mais aujourd'hui, force est de constater qu'émerge progressivement des réformes successives un nouveau paysage de l'orientation, façonné par la mise en synergie de tous ceux qui participent au système. Cette reconnaissance de la valeur de chaque engagement, Gaston Paravy la salue au regard des “événements de ce début d'année", qui “ne cessent d'interroger la formation et l'orientation dans leur responsabilité à construire du vivre ensemble".

Et d'insister : “l'orientation sera particulièrement mise en exergue car elle est congénitalement liée à la formation et de plus en plus présentée comme "un nouveau droit de l'homme"". Un droit donc ouvert à tous, mais qu'il convient de veiller à ce qu'il atteigne chaque personne. C'est peut-être là le sens de l'observation formulée par Gaston Paravy concernant la multiplication des initiatives visant “à ne pas laisser dans l'isolement et la désespérance les demandeurs d'emploi ou les actifs fragilisés" : “ces créativités nombreuses qui émergent dans les territoires mettent, toutes, l'accompagnement individualisé en avant".

Il conclut : “notre stratégie éducative d'orientation, la guidance professionnelle personnalisée, se justifie encore plus aujourd'hui car, l'écoute centrée sur la personne, la maïeutique de l'histoire de vie et la médiation éducative ont pour finalité de restaurer une confiance en soi, une réhabilitation de la personne dans son estime de soi et une mise en mouvement pour un nouveau projet".

Les Mife travaillent à l'enrichissement de leur corpus théorique

InterMife France travaille donc à l'approfondissement de nos stratégies d'orientation dans le cadre d'un conseil scientifique, qui donnera lieu à une prochaine publication. Membre[ 1 ]Les autres membres sont : Annie Cardinet, Bertrand Bergier, Henrike Klenk, Jean-François Petit, Jacques Legoff, Alex Lainé, Lorenzo Tébar, Yves Attou, Charles Hadji et Gaston Paravy. du conseil et directrice de la Mife de Savoie, Agnès Berjon nous dit pourquoi.

“Pendant trente ans, nous avons élaboré le corpus théorique à partir de la pratique. Comme les pratiques évoluent en fonction des besoins des personnes, il peut y avoir besoin d'approfondissements et de nouvelles pistes à explorer." Exemple ? “La pédagogie collaborative qui sera évoquée par Maurice Parodi [ 2 ]Intervention du 12 juin 2015 de Maurice Parodi, professeur émérite à l'Université de la Méditerranée, président du Collège coopératif Provence Alpes Méditerranée de 1985 à 1992 : L'économie sociale et solidaire, un espace privilégié pour l'orientation et la formation tout au long de la vie., existe depuis quarante ans, mais c'est peut-être un concept qu'il faut réintroduire dans notre corpus."

Cette nécessité de mettre à jour le socle théorique d'intervention des Mife au regard de l'évolution des pratiques, Agnès Berjon l'illustre ainsi : “Nous voyons bien aujourd'hui que dans la culture du partage, de nouveaux besoins de mise en relation émergent avec les nouvelles technologies, qui ne sont pas sans impact sur la demande des personnes. Nous avons par exemple moins de visites physiques mais, par contre, davantage de mails." CQFD : “Il faut que nous soyons au goût du jour, en accord avec notre état d'esprit de trouver des réponses en adéquation avec la demande du public."

Le rôle du conseil scientifique ? “Nous pensons que c'est toujours la théorie qui appuie les pratiques, il est donc fondamental de consolider notre réflexion et notre théorisation, en nous appuyant sur les personnes qui mènent ces travaux." Et de conclure : “Derrière les outils, il y a des théories et des méthodologies, nous cherchons des outils qui correspondent à nos finalités, qui restent les mêmes : celles d'une approche globale centrée sur la personne et à l'écoute de ses besoins, évidemment en lien avec l'environnement."

Une publication collective est prévue entre l'automne et la fin 2015.

“Dépenser moins pour la formation, plus pour l'orientation"

Universitaire spécialiste de la formation et créateur du concept d'apprenance, Philippe Carré a saisi l'occasion des rencontres nationales des Mife pour suggérer de tirer les pleines conséquences du développement de la capacité d'apprendre à apprendre : si les individus gagnent en autonomie cognitive, il devient possible de réduire les budgets formation. Non pas pour faire des économies, mais pour réaffecter les gains à l'orientation. Avec une conviction à la clé : une meilleure orientation renforce l'efficacité de la formation.

“Un adulte ne se formera que s'il trouve dans la formation une réponse à ses problèmes, dans sa situation." En citant Bertrand Schwartz [ 3 ]Auteur d'un rapport sur l'insertion professionnelle des jeunes en 1981, ce polytechnicien, ancien directeur des Mines de Nancy, a été l'inspirateur des Missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes en 1982., Philippe Carré appelle à une redistribution de la dépense sociale. Évoquant les “convergences entre orientation et formation", il dit “militer pour une augmentation du rôle de l'orientation en amont de la formation".

Pourquoi ? “Je pars de l'hypothèse qu'à budget constant, il faut dépenser moins d'argent dans les formations organisées dans les entreprises parce que les gens sont capables d'apprendre par eux-mêmes, avec une aide et une présence physique nettement moindre." Pourquoi investir l'argent ainsi économisé sur l'orientation ? D'une part, pour “aider les adultes à s'investir là où ils ont besoin de le faire et là où ils comprennent qu'il faut qu'ils le fassent en s'appuyant sur l'AOC (accueil–orientation–conseil)" ; d'autre part, pour ainsi créer à l'arrivée en formation les conditions “d'une motivation et d'un investissement dans la situation pédagogique, garants d'efficacité".

Plus d'argent à dépenser en amont, donc, mais aussi peut-être en aval, “une fois la formation accomplie", pour s'assurer du “transfert en situation". Dans la logique de budget constant retenue par Philippe Carré, moins d'argent devient disponible pour la période d'apprentissage, ce qui est selon lui rendu possible par le passage de la formation à l'apprenance. Concept forgé par lui-même dans un livre publié en 2005 [ 4 ]L'apprenance : vers un nouveau rapport au savoir, Dunod., l'apprenance poursuit l'ambition de mettre fin au paradigme de la formation en basculant de l'injonction à “former les gens" vers la conviction qu'il faut désormais “aider les gens à apprendre eux-mêmes".

Passer de la formation à l'apprenance, c'est selon lui comprendre que “ce qui importe n'est pas l'énergie que déploie la professionnel de la formation à construire et animer un dispositif, mais l'énergie que le sujet met à s'engager dans son entreprise". D'où, l'importance de l'orientation...

Le conseil en évolution professionnelle : une chance pour l'orientation ?

Prestations financées encadrées par un cahier des charges d'un côté, consultations libres et à l'initiative des personnes à la Cité des métiers de Paris de l'autre, Stéphane Montagnier connaît une double expérience de la pratique du conseil en orientation. Invité à témoigner lors de ces 27èmes rencontres nationales des Mife, il décrit deux paradigmes du conseil en orientation qui ne sont pas sans évoquer “l'appel à une crise de l'éthique des pratiques de l'orientation", lancé dans nos colonnes en 2013 (voir notre article). Au terme d'une véritable mise à nu de sa pratique professionnelle, il dit son espoir de voir le conseil en évolution professionnelle (CEP) redéfinir la notion de service en orientation.

Ceux qui s'interrogent sur l'opportunité d'une réforme de l'orientation pourraient bien revoir leur position. Car pour Stéphane Montagnier, psychologue du travail praticien en accompagnement des questions d'orientation tout au long de la vie, l'enjeu est de taille. De sa propre expérience, il ressort que face aux limites d'une commande publique jusqu'ici fondée sur “une conception déterministe et prédictive essentiellement centrée sur la connaissance de soi", le déploiement du conseil en évolution professionnelle (CEP) pourrait bien faire triompher un nouveau paradigme du conseil, centré lui sur “l'exploration du champ des possibles".

Des limites de la loi de 1991…

Résumant d'une formule la conception de l'orientation aujourd'hui majoritaire dans la commande publique, Stéphane Montagnier soupire : “un métier est fait pour moi, je suis fait pour un métier". Regrettant que ce qui n'était qu'une “hypothèse" ait progressivement évolué vers une “vérité" délivrée par des tests en tout genre, il suggère qu'un tel “appariement déterministe et prédictif concentré sur l'image de soi, s'est opéré principalement grâce à la loi de 1991 relative au bilan de compétences". Lequel, surfant sur la vague du développement personnel, aurait tout misé sur un processus vertueux enchaînant meilleure connaissance, représentation et estime de soi au service d'une meilleure capacité à s'orienter.

Contingent “de la mondialisation de l'économie et du déferlement des premiers licenciements de masse", le bilan de compétences a selon lui aussi ouvert la voie à une batterie de dispositifs individualisés dont le coût s'est révélé difficilement supportable pour la puissance publique. Conséquence : externalisée par l'État dans un souci d'économie, l'offre de services en orientation obéit désormais à une logique de marché, encadrée par des cahiers des charges auxquels les prestataires doivent se soumettre pour espérer conserver leur habilitation.

Problème : non seulement le contenu de l'activité des praticiens se voit ainsi “prescrit" par les cahiers des charges des financeurs, mais encore “ce mode de fonctionnement dirige-t-il la finalité des prestations vers l'atteinte d'objectifs et de résultats quantifiables sensés attester de la qualité du travail".

Et s'il s'est au départ conformé à ce “mode d'emploi", il en a vite mesuré les limites : “la spécificité de ma pratique était surtout de suivre l'objectif des cahiers des charges, le but des outils, de tendre un questionnaire d'enquête et un plan d'action à suivre", s'amuse-t-il. “Quant à son objet, il était essentiellement celui de parvenir à dresser un profil de soi".

Somme toute bon élève au regard des financeurs, force lui a été de constater qu'une telle pratique n'emportait cependant guère l'adhésion des premiers concernés. Bientôt conscient que le strict respect des procédures l'amène à “passer sous silence" la demande réelle des usagers, il décide alors de reprendre les commandes, “début d'un écart assumé avec le schéma tout tracé et linéaire du cahier des charges".

Ce qui n'implique pas forcément d'en tout ignorer, mais au moins d'en finir avec le dogme de l'exploration de soi comme point de départ à tout projet. Quand l'accès à l'emploi est le besoin fondamental exprimé, “l'exploration du champ des possibles" peut s'avérer beaucoup plus pertinente pour la mise en action de la personne, qui, mise en face de choix à opérer, pourra alors s'attarder beaucoup plus utilement sur la “question du soi".

…aux promesses de la loi de 2014

Et, selon lui, c'est bien “ce décalage entre ce qui est demandé par le sujet et ce qui lui est apporté comme réponse qui peut avoir en partie motivé l'élaboration du conseil en évolution professionnelle". À rebours d'un modèle qui “fait croire au déterminisme professionnel" et n'améliore même pas la “capacité de l'individu à être plus autonome dans sa capacité à s'orienter", le CEP introduit lui “le droit à l'initiative et à son respect, l'amélioration de la capacité à faire ses propres choix".

Et de citer Philippe Dole [ 5 ]Le conseil en évolution professionnelle, nouvel espace public de construction de projet, Droit social n° 12, décembre 2014., directeur du Fonds paritaire et avant cela rédacteur du cahier des charges du CEP : “la mise en œuvre du CEP s'accompagne de l'acceptation d'une nouvelle définition du métier de conseil dans la sphère publique", laquelle suppose une évolution de la commande : “les modes de gestion qui sont construits dans une logique prescriptive devront être adaptés aux spécifications du cahier des charges du CEP, qui renverse totalement ce modèle de gestion et de relation".

À l'heure où les opérateurs nationaux du CEP considèrent encore unanimement qu'ils sont de longue date dans la logique du CEP, il n'est pas sûr que sa portée révolutionnaire du CEP ait été bien comprise. À leur décharge, c'est dans une note de bas de page de l'article de Philippe Dole, que Stéphane Montagnier est allé relever cette dénonciation des pratiques en cours : “les objectifs du CEP et du CPF disqualifient également les pratiques d'orientation qui demeureraient fondées au principal sur la psychométrie et l'usage de tests, et dont les objectifs qu'il sous-tendent d'un accès homogène à la formation s'avèrent contradictoires avec la personnalisation des parcours".

Mission impossible ?

De la même manière qu'il a expérimenté la démarche prescriptive dans le cadre des marchés publics, Stéphane Montagnier dit avoir expérimenté la logique CEP dans le cadre de son activité de conseil à la Cité des métier de Paris-La Villette : “je n'ai plus à m'orienter à partir du but et des objectifs de la prestation, ni même à m'en soucier, puisqu'il s'agit seulement de partir de la demande du sujet et des savoirs qu'il recherche". Lesquels sont souvent tournés vers “l'énigme de savoir "quoi faire ?", dont la résolution est à “construire, notamment en s'aidant des outils qui sont aujourd'hui devenus accessibles par internet".

Mais a contrario des outils à la seule main du conseiller, ceux-ci sont utilisables par tous, à charge pour le conseiller d'aider à leur appropriation. Changement de posture où le conseiller n'est plus là pour “donner la solution" à un problème plus ou moins clairement exprimé, mais pour aider à construire et amener la personne elle-même à “réaliser un travail d'orientation".

Stéphane Montagnier insiste, il s'agit bien d'un “travail", ce qui justifie en soi le rôle du conseiller dans sa fonction de soutien. La différence entre les deux paradigmes ? “Dans le cas de l'ancien paradigme, se projeter au travers d'une image de soi idéalisée dans un métier idéal ; dans le nouveau, favoriser la possibilité du sujet à pouvoir se projeter en fonction de ce qui lui est possible, de sorte à lui permettre de faire un choix en connaissance de cause".

Revers de l'abandon de la prescription, l'irruption du choix peut... désorienter ! Charge alors au conseiller d'accompagner le sujet dans ce que Stéphane Montagnier nomme “l'embrouille des désirs". Car, “à mesure que la liberté et la responsabilité de ses choix reviennent au sujet-citoyen, la clinique de l'orientation s'apparente de plus en plus à une clinique du désir et de l'angoisse".

Ré-apparaît alors la problématique de la “centration sur l'individu" exposée par Marie-Hélène Doublet lors des rencontres régionales de l'orientation en Rhône-Alpes (voir notre article). L'avocat du second paradigme pouvait bien conclure : “notre métier est impossible !"

  • 27èmes Rencontres nationales des Mife, Orientation et formation tout au long de la vie, une réforme en marche..., Autun, 11 et 12 juin 2015 : www.intermife.fr/

Notes   [ + ]

1. Les autres membres sont : Annie Cardinet, Bertrand Bergier, Henrike Klenk, Jean-François Petit, Jacques Legoff, Alex Lainé, Lorenzo Tébar, Yves Attou, Charles Hadji et Gaston Paravy.
2. Intervention du 12 juin 2015 de Maurice Parodi, professeur émérite à l'Université de la Méditerranée, président du Collège coopératif Provence Alpes Méditerranée de 1985 à 1992 : L'économie sociale et solidaire, un espace privilégié pour l'orientation et la formation tout au long de la vie.
3. Auteur d'un rapport sur l'insertion professionnelle des jeunes en 1981, ce polytechnicien, ancien directeur des Mines de Nancy, a été l'inspirateur des Missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes en 1982.
4. L'apprenance : vers un nouveau rapport au savoir, Dunod.
5. Le conseil en évolution professionnelle, nouvel espace public de construction de projet, Droit social n° 12, décembre 2014.